vendredi, avril 11, 2008

MAI 68, UNE ÉNIGME POUR RENÉ RÉMOND ! (3)

Deux questions qui demeurent toujours actuelles : le recul du temps n'en a pas avancé la résolution. Peut-il y avoir moins dans les causes que dans les effets ? A ce compte, quelles peuvent bien être les origines d'un tel bouleversement ? L'historien doit se garder d'introduire dans la déconcertante complexité des faits une rationalité qui n'y était pas : 68 est un défi et une défaite de la raison logique qui tente de réintégrer à tout prix l'événement dans un processus rationnel. La leçon vaut sans doute pour d'autres crises et jette un doute sur les explications trop raisonnables de nos révolutions successives.
La signification de l'événement n'est pas un moindre sujet de perplexité : révolution véritable ou simple psychodrame ? Paroxysme d'effervescence idéologique, explosion d'individualisme répudiant tous les systèmes ou vaste élan de solidarité ? Vingt ans après, les interprétations continuent de s'entrechoquer. Quant aux conséquences, les appréciations les plus contradictoires se disputent toujours la prétention d'être la vérité : agitation de surface aux effets aussi vite effacés qu'elle avait surgi ou, au contraire, bouleversement qui aurait transformé irrévocablement le corps social et après lequel rien ne serait plus tout à fait comme avant ?

Les origines
Dans un tel embarras il convient de procéder avec prudence et méthode : reconstituons l'environnement et recherchons les commencements. Sans prétendre établir une échelle hiérarchique, rassemblons tous les éléments dont on peut raisonnablement penser que l'explosion a été la résultante, comme autant de matières inflammables auxquelles il suffisait d'une étincelle pour prendre feu. Le fil conducteur nous est suggéré par l'origine visible du mouvement.
Il a pris naissance dans les universités : plus précisément chez les étudiants... La croissance très rapide du nombre des étudiants, qui a quadruplé en moins de dix ans, transforme complètement les conditions de travail et d'existence des étudiants : ils sont des milliers là où ils étaient des centaines... Leur anxiété ne porte pas sur les débouchés, car à l'époque le plein emploi est à peu près assuré, notamment pour les cadres, et les diplômés n'ont pas de difficulté à se placer. Ce qu'ils craignent, c'est d'être employés à des fins qu'ils réprouvent : ils refusent la logique du marché et de l'entreprise; en particulier les étudiants, fort nombreux en psychologie et sociologie, n'entendent pas devenir les chiens de garde du capital. Quelques-uns de leurs professeurs les entretiennent dans cet état d'esprit et attisent leur inquiétude...
Si la grande majorité des étudiants n'a cependant que des préoccupations immédiates et purement professionnelles, des minorités engagées inscrivent les revendications corporatives dans une perspective générale teintée d'idéologie. Les années 1965-67 connaissent une intense effervescence idéologique qui a préparé l'embrasement de 1968. Cette activité trouve une partie de ses aliments dans des événements extérieurs à l'Hexagone... La révélation en 1956 des crimes de Staline avait commencé de ternir l'image de l'URSS... La répugnance du parti à se déstaliniser et sa lenteur à modifier le mode de direction institué par Maurice Thorez décevait nombre de jeunes étudiants communistes. La crise qui opposait la direction de l'Union des étudiants communistes à l'appareil du parti avait été brutalement tranchée en 1965 par l'éviction des éléments qui aspiraient à un renouvellement... D'où le tour délibérément anti-stalinien du mouvement de 68... La plupart des exclus se tournent vers d'autres formes de marxisme : le trotskisme, qui n'avait jamais touché que des minorités infimes, connaît un succès réel; porté par l'exemple de la Chine qui vient d'entreprendre une révolution culturelle dont on admire de confiance le grand dessein de faire enfin table rase du passé et d'édifier un homme nouveau, le maoïsme fait des adeptes; et même le vieil anarchisme, que tous croyaient mort depuis cinquante ans, connaît un retour de fortune imprévu... (à suivre)

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